Éditorial du numéro 1 de Papiers Nickelés (janvier 2004)
D’abord, l’idée est partie de constats divers : – au moment où certains emplois du papier disparaissent (évolution technologique oblige), d’autres emplois de ce papier se développent et, avec la nostalgie que la collectionnite accélère, l’intérêt pour le papier imprimé ne cesse de croître, partout dans les pays développés. Les ventes publiques (1 million de francs pour une planche noir et blanc de Franquin à Drouot) comme les prix aux Puces de vieux livres illustrés, d’anciennes B.D. ou de petits papiers colorés, montrent que cet intérêt a pris des proportions incroyables.
– de nombreux héritiers d’artistes décédés ne savent que faire des originaux de leur ancêtre, trésors qui pourrissent dans des caves ou des greniers, jamais montrés ; ou ils se résolvent, par intérêt ou manque de place, à tout disperser, tout brader dans une vente publique, voire à en faire cadeau à un organisme incapable de gérer cet apport (Effel à la S.P.A. par exemple).
– de nombreux artistes déclarent qu’ils jettent des œuvres chaque année parce qu’elles les encombrent, voire les brûlent.
– l’absence criante d’un lieu d’exposition pour l’art populaire dessiné dans la capitale est un scandale, quand on compare à ce qui existe dans les capitales européennes ou de grandes villes.
– pourtant certaines initiatives existent mais ont du mal à se monter par absence de partenariat, notamment national (où peut-on voir, par exemple, ailleurs qu’à Angoulême les grandes expositions du festival ou du C.N.B.D.I. ?).
– l’acharnement administratif à rattacher absolument les arts narratifs aux arts plastiques les occulte sans cesse. Il faut répéter que la B.D. n’est en aucun cas un art « plastique » (quoi qu’en pense Beaux-arts) mais un art narratif, comme le cinéma ou la littérature, et que les formes imprimées du dessin s’éloignent aussi des arts à exemplaire unique. Rattachés ainsi, B.D. ou dessin d’humour, illustration ou affiche seront toujours des arts mineurs artificiellement raccrochés à un art dit majeur, noble, la peinture et ses avatars. Alors que leur succès tendrait à prouver le contraire.
– un artiste d’aujourd’hui a tendance à travailler pour tous ces supports (affiche, presse, B.D., illustration, petite imagerie) mais nulle part la cohérence de ce travail n’est prise en compte.
Toutes ces observations ont conduit quelques personnes à se réunir à mon initiative depuis 1998 et à réfléchir à un projet de centre international consacré à ce domaine. Une première mouture du projet a été élaborée en 2000. Nous la désignons sous son futur sous-titre, qui a le mérite d’exprimer parfaitement ce que nous voulons, mais d’être très long. En attendant de le nommer parfaitement, nous l’appelons en effet Centre International de l’Imagerie Populaire, du Dessin imprimé et du Patrimoine sur Papier. En abrégé, C.I.P. Depuis 2001, nous avons proposé à la ville de Paris d’accueillir ce projet, certes lourd et coûteux, mais qui réunirait en un seul lieu plusieurs projets comblant des manques criants dans la capitale française.
Le domaine du projet est à la fois la bande-dessinée, le dessin de presse et d’humour, l’affiche et les publicités dessinées, l’illustration, la gravure et la « petite imagerie » (ces images que chacun a en mains et ne regarde jamais). Nous tenons à la cohérence du domaine : le dessin imprimé sur papier, et à son côté « populaire », qui le distingue du dessin d’art.
Dans ce projet (en cours de révision, pour le graduer dans le temps), seraient associés :
– une unité musée-archives assurant la collecte, la préservation, la restauration, la conservation et l’archivage (en particulier numérique) des œuvres originales, des publications, des documents des tous les dessinateurs du présent et du passé. Il permettrait la mise à disposition des chercheurs ou, passionnés, de la matière première ou des introuvables. Déjà, de nombreux dessinateurs et ayant-droits, ainsi que quelques collectionneurs débordés nous ont manifesté leur intention d’être parmi les premiers donateurs, afin d’ »amorcer la pompe ».
– une unité d’exposition et de communication au grand public des œuvres conservées ou prêtées au C.I.P. (plusieurs salles, permettant d’associer à une grande expo grand public de plus petites expos sur des créateurs ou sujets moins évidents).
– un département informatique qui comprendrait au moins le site Web du Centre donnant des informations sur les dessinateurs, les publications, les manifestations, le Centre lui-même ou tout élément concernant le domaine ; et un archivage numérique des œuvres publiées et compressées ouvert à consultation de tous via Interne, doublé après accord des auteurs et ayant-droits d’une possibilité de communication par téléchargement des ouvres autorisées.
– une unité de communication directe, comprenant une librairie spécialisée, une médiathèque spécialisée un kiosque à journaux spécialisé.
– un département d’édition, permettant la publication d’une revue, de rééditions, de catalogues, de carterie, etc.
– une unité de formation aux techniques, du bois gravé à l’ordinateur, principalement en direction des enfants des écoles.
– une unité d’animation, avec salle de projections, débats et rencontres.
– un département technique (réparation, sauvegarde, encadrement, emballage, etc.).
– une unité de convivialité (restauration, bar, etc.).
Tout cela n’est pas obligé de se réaliser au même moment, bien sûr, mais il est important d’avoir en tête l’ensemble du projet. Enfin, certains éléments peuvent être concédés ou associés, voire décentralisés. La forme juridique importe peu, mais le choix de l’équipe sera déterminant : des gens compétents et motivés seuls peuvent assurer la réussite d’un tel projet.
Tout cela a été budgété grâce à l’équipe initiale, où l’on compte des architectes, des librairies, des éditeurs, des dessinateurs et auteurs, des élus, des journalistes, des collectionneurs, des spécialistes et iconologues distingués. Nous sommes en pourparlers avec la Mairie de Paris et cherchons les sponsors privés indispensables à tout projet public de cette envergure. Les appuis et idées sont bienvenus.
Le projet bouclé, la petite équipe a décidé de continuer à se voir, autour d’une bouffe mensuelle, mais le nombre croissant de personnes intéressées a contraint à trouver un autre lieu que les résidences successives de l’initiateur. Ce fut d’abord au « Lotus Bleu », restaurant asiatique du 5° arrondissement, puis actuellement le « Bécassine », restaurant français du 3°, choisis pour leur nom porteurs de sens.
Nous avons sollicité le soutien des intéressés. Les dessinateurs d’abord, mais aussi les scénaristes, les coloristes, les éditeurs, les journalistes et critiques, les historiens et commentateurs, les collectionneurs, les amateurs, les conservateurs et galeristes, les bibliothécaires et libraires spécialisés, les organisateurs de festivals, les passionnés quoi qu’il en soit. A ce jour, près de 300 ont signé un texte demandant la création de ce Centre de l’Imagerie Populaire à Paris. La liste n’est pas close.
Nous avons pris une première initiative concrète : en septembre 1999 a été créée l’Association de Préfiguration d’un Centre de l’Imagerie Populaire, du Dessin Imprimé et du Patrimoine sur Papier. Elle s’est nettement élargie depuis. Présidée par Yves Frémion (écrivain, journaliste, collectionneur et élu), son secrétariat est assuré par l’éditeur et bibliothécaire Philippe Marcel et la documentaliste Agnès Deyzieux, la trésorerie par Jacques Bisceglia (critique, bouquiniste, photographe et élu), qui a succédé au critique André Igual décédé (dont le rôle a été essentiel à l’élaboration du projet). Ses vice-présidents actuels sont l’éditeur et architecte Philippe Morin, le journaliste, éditeur et webmaster Laurent Mélikian, le journaliste et collectionneur Benoît Marchon, le libraire et critique Jean-Luc Buard et l’éditeur et informaticien Alain Beyrand.
Ceux qui souhaiteraient se joindre à nous sont bienvenus. Ils recevront chaque mois le compte-rendu de la réunion précédente et la convocation à la suivante.
Nous prenons aujourd’hui une seconde initiative concrète en créant l’esquisse de ce qui pourrait être la revue du centre. Son contenu dit suffisamment ce dont il s’agit. Chacun sa marotte, son savoir, son enthousiasme, ses infos. Ce numéro 1 de Papiers Nickelés est envoyé gratuitement à tous ses membres et amis, mais aussi aux autres signataires du texte de soutien, que nous en profitons pour remercier collectivement mais chaleureusement. Votre notoriété impressionne ceux que nous rencontrons.
Le C.I.P. n’ayant pas encore de budget sinon les cotisations de ses membres, nous vous demandons de vous y abonner, pour qu’il se développe. Nous vous invitons aussi à y contribuer par vos articles, infos et documents. Et bien entendu, à adhérer à l’association, dont le but final est de se transformer en Association des Amis du Centre quand il existera. Cela vous permettra d’être prévenus nos agapes mensuelles. Merci d’avance à tous.
Vive le dessin imprimé, vive le patrimoine sur papier, vive l’imagerie populaire !
Pour le C.I.P., le Président
Éditorial du n° 1(1er trim. 2004)
NDLR : depuis, le nom de l’association est devenu celui de sa revue : Papiers Nickelés, en gardant son sous-titre. L’équipe a évolué, certains n’ont plus le temps, bien d’autres sont arrivés, quelques uns sont morts entre temps (Igual, Rochette, Caradec). Le comité de soutien s’est épaissi. Le « Bécassine » a fermé et nous sommes retournés au « Lotus bleu », avec de rares infidélités. Le projet, lui, après avoir été annoncé par le maire (réélu) de Paris, ne semble guère avancer… et sinon sans nous, car nul ne nous a jamais recontactés. Nous le concevons nous-mêmes comme moins ambitieux, enfin, plus étalé dans le temps en tout cas. Mais nous ne baissons pas les bras.