Edito du n° 13 (2° trim. 2007)

On est parfois surpris dans les ventes d’art populaire par la méconnaissance de certains experts. Et des commissaires-priseurs. Cela se sent souvent à la lecture des catalogues, mais aussi pendant la vente lors de la présentation des œuvres. Tant d’artistes dont l’expert ne connaît pas le nom, l’orthographie mal, inverse nom et prénom ou auteur et héros, prend une signature pour un patronyme, ne distingue pas un faux (ou le cautionne ?), ne peut signaler ses dates de naissance ni de mort qui pourtant figurent dans tous les usuels, ne connaissent pas l’origine des œuvres, attribuent une BD de série à son auteur le plus connu même si c’est un assistant ou repreneur, etc. Dans la même vente récente on a vendu des BD de dessinateurs nommés Tufts Warren [Warren Tufts] ou Rmas [Roger Mas]. Les œuvres, puisque non identifiées, y sont rebaptisées en dépit du bon sens. Verrons-nous bientôt « jeune homme en culotte de golf à la coiffure en houpette » pour désigner Tintin ?

Cela laisse une désagréable impression d’amateurisme, qui ne serait pas admis pour les œuvres plus « nobles » dans l’histoire de l’art. L’art populaire semble si peu important à leurs yeux qu’on se demande pourquoi ils en vendent. Lors d’une vente de dessins de presse du XIX° siècle, le commissaire a insisté souvent sur le côté « mineur » de ces œuvres, en réalité majeures pour certains artistes. Par ailleurs, les expressions admises par tous aujourd’hui ne semblaient pas être connues de lui et il s’est obstiné à vendre des « planches de vignettes à trame narrative » (!) et non des « bandes dessinées », comme des dessins séparés des autres sur une même feuille.

Il y a pire, comme l’a constaté un d’entre nous lors d’une vente récente de dessins de presse du XIX° et début XX°. Les commissaires-priseurs étaient connus, les experts étaient experts, la salle légendaire. Récit.

La veille, un lot a attiré notre attention. Anonyme, il est attribué, selon une tradition stupide, « école moderne ». Il date vraisemblablement de 1931, la coupure jointe du Journal des mutilés et combattants où il est paru en faisant foi. Le dessin et la coupure avaient été placés sous vitrine. Des poilus, en rangs plus ou moins serrés, le fusil à la bretelle, marchent sur un chemin enneigé. Un chien les accompagne. Ils s’en vont relever leurs camarades un jour de Noël. Nous sommes en rase campagne. La pente dévale légèrement. Le paysage vallonné est aussi nu que blanc. Une ferme fume en contrebas. On sent le froid qui transperce les capotes. Ils sont seuls sous le firmament, mais font corps. L’un retient notre attention. En retrait de ses compagnons, il prend appui sur une béquille pour suivre le train, non sans peine. Il fume la pipe.

On aime ce dessin, cette coulée humaine sombre, harnachée, casquée, sur ce manteau blanc. On souhaite l’acquérir. On l’observe attentivement. Et là, l’incroyable saute aux yeux : l’encre (de Chine) sèche encore sous la vitrine, comme un petit crime, encore chaud, opéré dans le dos de ces soldats sur papier. On convoque un représentant de l’étude afin de lui mettre le nez dessus et recevoir des explications. L’homme, un brin hautain, mais gêné aux entournures, ne s’attarde guère et retourne à sa table. Le déranger pour si peu, vous n’y pensez pas ! Nous décidons au retour, afin de marquer le coup, d’adresser un courriel à l’attention de l’expert responsable du lot avec copie à sa consœur. Nous attendons toujours une réponse…

On le voit, la libéralisation de cette profession n’a pas accru sa déontologie…

Edito du n° 13 (2° trim. 2007)