La mascarade de l’ « écofauve » l’avait bien montré, la remise des autres prix du festival l’a confirmé : le festival de la BD n’est plus l’occasion de récompenser des bédéastes, mais bien de valoriser des entreprises qui financent l’événement. C’est à elles que, désormais, les prix sont attribués.

Il arrive parfois que les lauréats scénaristes ou auteurs soient absents lors de leur récompense, jamais les sponsors. Pas grave : c’est le sponsor qui vient chercher le prix, devenu le sien. Si les bédéastes primés présents remercient de quelques mots embarrassés (le verbe est rarement le talent n° 1 de celui ou celle qui dessine), le sponsor lui, sait être interminable pour vanter son entreprise dans un monologue soigneusement mis au point par son service de communication.

La caricature en a été justement la remise de cet écofauve unanimement vilipendé dont la magouille avait été, ici-même, démontée. Suite à cette dénonciation, le jury entier avait démissionné (provoquant une panique en cascade chez les organisateurs), puis les auteurs dépités (y compris le tandem Blain-Jancovici) s’étaient en partie retirés, sauf ceux de quatre albums. Au final, un prix fut décerné mais on ne sait toujours pas par qui, puisque le festival n’a pas révélé les membres du nouveau jury ˗ alors que tous les autres prix annonçaient fièrement les noms des personnalités choisies, ou même faisaient monter sur scène les hordes d’enfants jurés des prix jeunesse. Que peut bien cacher cette occultation inédite ?

Si les lauréats de l’écofauve furent brefs, la directrice du sponsor (Raja) vint expliquer laborieusement, mais interminablement, comment, depuis 1954, c’est Raja qui à elle seule a sauvé la planète, détaillant chaque action en détail, afin que chacun comprenne bien que son entreprise était plus écolo que tous les écolos du monde. C’était tellement ridicule que toute protestation aurait été inférieure en dénigrement.

La meilleure BD écolo de l’année (‘’Le potager Rocambole’’, de Laurent Houssin et Luc Bienvenu, chez Futuropolis), choisie en février, fut récompensée pour de bon, la veille, par le Prix Tournesol de la meilleure BD écolo de l’année, au Point Carré. Sur YouTube vous pourrez voir comment nous avons raconté une nouvelle fois l’arnaque de l’écofauve:  https://www.youtube.com/watch?v=ZHIAP_sxDGs . Ce Tournesol était décerné pour la 26ème année : il n’avait pas attendu la vague de l’écologie greenwashing pour exister. On a compris que la soi-disant « transition écologique » va déverser un flot de pognon et qu’il n’y a pas une grande entreprise, souvent les plus polluantes et prédatrices qui ne soit prête à tout pour le capter à la place des vrais défenseurs de la planète. D’où cette vogue de greenwashing sans précédent dans le pays.

Alors, disons-le une fois pour toutes : ni le festival de la BD, ni les autres festivals, ni personne dans la culture, n’a besoin de sponsors ! Ils ont besoin de mécènes. Rappelons la différence pour ceux à qui elle aurait échappée : en aidant la culture (ou autre chose) un sponsor réalise une opération de communication, il fait de la publicité, il en escompte des rentrées financières ou une valorisation de son image de marque, c’est un investissement qui attend ses retombées ; un mécène réalise, au contraire, un acte désintéressé, il aide vraiment sans contrepartie – certes il peut valoriser, dans sa propre communication, cet acte de solidarité mais en aucun cas dans l’acte lui-même où doit rester discret.

Il n’existe pas de mécènes à Angoulême, que des sponsors, dont aujourd’hui chacun a un prix taillé à sa mesure comme un costume. C’est pourquoi les sponsors ont remplacé les malheureux artistes, dont les albums sont devenus les faire-valoir du sponsor, et non de leur talent artistique. Les intitulés de certains prix, qui paraissent un peu capillotractés, s’explique mieux en regardant les priorités des commanditaires.

Si l’on s’amusait à chiffrer le coût d’une opération de communication équivalente à cette promotion gratuite sur la scène du théâtre d’Angoulême, et qu’on le compare à l’à-valoir touché par l’artiste lauréat, on comprendrait bien des choses.

Au moment où plus d’un auteur ou d’une autrice sur deux reste en deçà du seuil de pauvreté, confisquer ce qui devrait être leur fête au profit d’une exhibition commerciale de sponsors a quelque chose d’obscène. Il est temps que les organisateurs se ressaisissent et se souviennent que ce festival est consacré à la bande dessinée, pas aux entreprises.

Yves Frémion